Pascale Kaparis

Après avoir présenté les toiles de L'oubli des mots dans la Chapelle de la Salpêtrière et la série Oxymore à la
galerie Médiane à Paris en 2002, je démarre en 2003 une nouvelle série et installation, Poches.


La terre vue d'avion, la terre qui s'envole par morceaux et qui perd de sa consistance, de sa matière, je la retrouve
dans Poches sous la forme de mues, de racines, d'algues, fragments sans nom. Cette installation me montre ce
qu'est l'oubli et la perte des repères. Elle illustre les instants de rupture dans la mémoire et donne une perception
spatiale et visuelle d'une représentation simultanée de l'unité et du morcellement.


Casablanca, que j'ai quitté à six ans est à l'origine de cette installation. Les poches flottent identiques à la terre
vue d'avion, divisées et troubles, seul l'air autour est transparent, chaque poche est une part de mémoire
retrouvée, aucun lien entre elles


Ce morcellement, c'est aussi toutes les photographies faites par mon père en noir et blanc de la végétation et
des fruits avec des gros plans sur leurs anomalies. Je décide de revenir à ce territoire avec des actions que je
nomme Morcellement, territoire et populations. Je photographie à Casablanca des rectangles de terre humide
bien ordonnés dans un cimetière et un grand tapis rouge humide de l'eau qui lave les corps.
Est-ce que l'on peut faire joindre les rectangles de terre? L'eau qui lave le corps des morts répandue sur les
corps vivants lie-t-elle la terre partagée? Les taches peuvent-elles disparaître en frottant ?


Algues est ma deuxième installation expérimentale que je débute en janvier 2004. En août, elle devient
Mizu no miyako nom poétique qui désigne la ville d'Hiroshima comme métropole des eaux.


J'aborde au cours de ces huit mois l'ombre, la tache noire, l'imprégnation de la tache noire sur la peau ou le tissu,
et aussi la disparition de la matière dans la forme blanche, la perte des contours dans l'éclat d'une lumière très
forte, la perte de la vue dans l'éblouissement, puis les formes qui gardent à l'intérieur la lumière blanche.
La transformation de parts de vie dans d'autres formes


Je prépare en avril un dossier pour obtenir une bourse de recherche à l'étranger : Je veux partir à
Tokyo, attirée par le blanc, la lumière, l'eau et le silence.
Les planches photographiques Vies et formes
substituées
que je réalise alors parlent de fragments de mémoire qui sont des parts vivantes silencieuses,
essaimées et glissées dans d'autres formes, poupées, poissons, calamar.


Puis je réalise une oeuvre vidéo de 12' en juin, J'ai vu le soleil fondre de chaleur, qui m'amène à entendre
le souffle, tous les souffles.
Le mouvement très lent d'un poisson blanc lie les différentes séquences
du film. La mémoire est sur la peau qui brûle, dans le silence des yeux fixes grands ouverts où tous les souffles
sont audibles dans une même rumeur.
Deux enfants sont les gardiennes du souffle.



Les lectures en juillet et août de Notes d'Hiroshima de Kenzaburô Oé ainsi que Le journal
d'Hiroshima de Michihiko Hachiya me font comprendre différemment mon dispositif Algues.
Chaque
corps devenu transparent donnent à voir une ombre survivante blanche. La part vivante est dans l'ombre blanche,
là se trouve le silence, la mémoire, l'éblouissement. Les algues bougent avec le flux et le reflux de la mer, les
rivières se vident et se remplissent, dans cet air apparaît la danse des corps blancs. Je pense à Mizu no miyako.


En septembre et novembre, les films Exposed et Mizu no yume le rêve de l'eau, sont terminés.
Dans des bains d'eau de mer, j'immerge des algues blanches qui se déploient comme des membranes, des peaux,
enveloppes égarées vivantes ou survivantes décolorées par la lumière. Les algues sont comme des pellicules
sur lesquelles on peut lire le passage de la lumière qui décolore ou bien qui imprime d'autres corps sur la plaque
photo-sensible de l'algue. De la décoloration aux couleurs éclatantes.


Mizu no yume se déroule en cinq séquences, Yume rêve, Pika éclat, Mizu eaux, Shiori kage ombre blanche,
Miyako jima île de miyako.
Chaque séquence débute sur des yeux fixes ouverts qui évoquent une conduction
interne dans le corps entier des images au rythme régulier et irrégulier de la pulsation. Le corps entier est témoin.
Les images et événements agitent le corps. La mer est ce corps qui reçoit ces impulsions. L'eau rend visible,
porte, transporte, dépose, fait passer. Par sa capacité réfléchissante, elle rend accessible à la vision une part
d'irréel placée dans le réel. Les enfants de Miyako jima sont en balcon sur deux réalités. Simultanément ils
peuvent voir avant d'un côté du mur, et maintenant de l'autre côté. Ils entendent en même temps les sons
d'avant du chant des enfants et le son de l'île. Sur cette île, les pas aux ombres blanches bleutées sont
silencieux, les yeux peuvent voir le silence, deux mondes se mélangent simultanément.






© Pascale Kaparis 2004